Histoire

Le sultanat d'Anjouan, une monarchie éclairée..........

                                              Le sultanat d'Anjouan, une monarchie éclairée …..

Dans l'Océan indien, au milieu du canal de Mozambique, s’est mis en place dès le XVIe siècle sur l'île d'Anjouan, un pouvoir politique et social rare pour l'époque et dont les caractéristiques méritent d'être connues.

Comme l'a si bien souligné Jean Martin, un des spécialistes de l'histoire des Comores : «  En dernière analyse et à la différence des îles voisines, Anjouan formait sans doute depuis longtemps déjà, un état et non une chefferie africaine, un royaume avec un souverain, flanqué d'un gouvernement dont l'autorité s'étendait à l'ensemble de l'île, une armée et un trésor alimenté par des ressources régulières. »

En effet, au fil des années, c'est un véritable état de droit, une monarchie éclairée qui s'est édifiée sur l'île d'Anjouan, connue sous le nom de Johannah ou Anjouanna.

1- Un état de droit unitaire : contrairement à ce que l'on pouvait voir à Komor « Ngazidja » divisée en plusieurs chefferies, le sultanat d'Anjouan était parvenu à unifier toutes les régions d'Anjouan sous un même pouvoir politique et économique reconnu partout. Un même impôt était levé sur l'ensemble du royaume et tous les citoyens étaient régis par la même loi, celle du sultanat.

2- Un pouvoir juste avec la femme anjouanaise, reconnaissant toute sa place et son rôle dans la société : contrairement aux traditions et aux lois qui avaient cours dans le monde et notamment en France régie par la loi salique, les descendantes des sultans d'Anjouan pouvaient accéder au trône et régner comme les hommes : Djoumbe Hadia, Djoumbe Halima I, Halima II, Halima III sont parmi les nombreuses Anjouanaises à exercer la magistrature suprême dans le royaume d'Anjouan.

Quand on réalise combien de très vieilles démocraties sont encore en panne jusqu'à ce jour, d'élire des femmes à la tête d'états modernes et évolués, on peut imaginer l'esprit d'ouverture et d'équité de la société anjouanaise de l'époque.

Sans compter que des femmes se sont également forgé des destins formidables en dehors du pouvoir politique comme la célèbre Binti Anquil qui a fait édifier le minaret de Mutsamudu et construire la première maison en pierre de Mutsamudu, le palais Rochani.

3- Un état de type parlementaire : Le sultan d'Anjouan n'exerçait pas un pouvoir absolu, puisqu'il était modéré et assisté par un madjliss, une sorte de parlement formé de représentants de régions et de villages .

Le madjliss intervenait sur la succession dynastique (certains prétendants ont été déboutés par cet organisme) , mais aussi sur la levée des impôts, les affaires étrangères etc..

4- Un pouvoir décentralisé : jusqu'en 1792, le sultanat a reposé sur une organisation administrative et politique originale.

Le sultan et sa cour étaient établis à Domoni où s'exerçait le pouvoir politique, alors qu'à Mutsamudu était dévolu le pouvoir administratif et économique en rapport avec l'activité commerciale du port.

Les deux pouvoirs devaient être unifiés après l'abdication du vieux sultan Said Ahmed au profit de Abdallah Mwenye Fani mieux connu sous le nom de Abdallah 1er.

5- Une monarchie apaisée et solide: La dynastie fondatrice Al Madoua issue du Chirazien Hassani Ben Haissa s'est bien accommodée de l'intronisation de sultans issus des Al Massela ou plus rarement des Aboubacar Ben Salim.

Ainsi le sultanat d'Anjouan a été épargné des graves crises de succession destructrices, puisqu'il a perduré jusqu'au XXe siècle, offrant la résistance la plus organisée et la plus sérieuse à la pénétration coloniale française.

Anjouan a toujours bénéficié d'une place particulière dans les statuts coloniaux qui se sont succédé pour l'archipel des Comores et Madagascar et il a fallu attendre la fin de la 2e guerre mondiale, pour que l'entité politique anjouanaise soit finalement dissolue dans le Territoire des Comores, institué par la loi cadre de Defferre de 1956.

Il est établi que les sultans d'Anjouan avaient une méfiance et même une répugnance à se lier à des puissances étrangères et à signer des traités dont les versions française et anjouanaise pouvaient souvent différer.

Sans compter que des bateaux de guerre mouillaient souvent au port de Mutsamudu pour l'occasion.

C'est ainsi que le sultan Salim II ne put refuser le protectorat en 1843, sous la menace des canons de 2 navires de guerre qu 'en s'engageant à renoncer définitivement aux droits du sultanat d'Anjouan sur l'île de Mayotte.

6- Un état reconnu ouvert sur le monde.

Le sultanat d'Anjouan avait établi de relations diverses avec de nombreux pays du monde dont Madagascar, l'île Maurice, la Réunion , Zanzibar, Kilwa, Oman, l'Egypte, Inde, le royaume britannique, la France, les États-Unis etc.

C'est ainsi que la couronne britannique établit même un consulat en la personne de Sunley et les Américains un représentant en la personne de Wilson.

Deux faits historiques montrent mieux que tout discours cette reconnaissance internationale

du sultanat d'Anjouan :

  • En 1802, Napoléon Bonaparte demande au sultan Abdallah III d'accueillir 32 révolutionnaires Jacobins déportés à la suite de l'attentat de la rue Saint Nicaise  à Paris; parmi eux se trouvait le général Rossignol.

  • L'ordre de l'étoile d'Anjouan doit son origine à la reconnaissance de la reine Victoria qui voulait ainsi récompenser le sultanat d'Anjouan pour l'hospitalité et l'accueil dont il avait fait montre avec des membres de la famille royale anglaise naufragés à Anjouan. L'ordre fut institué en 1874 et réorganisé par le sultan Mohamed Said Omar et intégré dans l'ordre colonial par la France en 1896.

7- Un état très hospitalier :

En effet, le sultanat d'Anjouan était un état hospitalier qui accueillait de nombreux visiteurs comme on l'évoquera tout à l'heure.

Les exemples les plus célèbres et qui devaient marquer l'histoire de l'archipel à jamais sont l'accueil et la confiance accordés à Andriantsoly et Ramanétaka, chassés du Nord de Madagascar.

Andriantsoly détrôné et chassé de la région du Boina en 1831, trouva refuge auprès du sultan d'Anjouan ; à Mayotte, il élimina Boina Combo, alors gouverneur pour se proclamer sultan de Mayotte.

En 1835, Abdallah II mena une expédition contre Andriantsoly pour le déloger et l'établit en tant que gouverneur, par un traité validé par le gouverneur anglais du Cap ; mais Andriantsoly devait de nouveau se rebeller et par peur de représailles et acculé même par lapopulation, il finit par vendre l'île de Mayotte à la France.

Ramanetaka envoyé à Mohéli comme gouverneur suivit un parcours analogue, mais les tentatives punitives menées par le sultanat connurent un échec désastreux ; en effet après une 1ère expédition victorieuse, Abdallah II fut victime d'un naufrage à Mohéli et finit sa vie dans les prisons de Ramanetaka.

8- Une économie prospère

Les sultans d'Anjouan ouverts au monde étaient sensibles aux moyens de développer l'économie du pays ; c'est ainsi qu'ils ont mis en place de grandes plantations de production de cultures de rente, mais aussi des industries de fabrication de sucre, de cordes, de savon etc.

Mais l'essentiel de l'économie résidait dans l'activité du port de Mutsamudu, véritable poumon économique du sultanat, en matière de commerce et d'échanges.

9- Mutsamudu, une escale importante sur la route des Indes

« Au XVIIIe siècle, Mutsamudu était devenu le centre commercial de l'archipel et même du canal de Mozambique », selon Jean Martin « Comores, 4 îles entre pirates et planteurs ». Les nombreux bateaux venus des 4 coins du monde, en route vers les Indes ou en passe de doubler le Cap de bonne espérance trouvaient à Anjouan une escale accueillante « dans la sécurité du mouillage, l'abondance des provisions et la salubrité du climat... » idem. Les archives font état de 50 navires français qui ont mouillé à Mutsamudu entre 1708 et 1785 et 22 escales de navires provenant de pays variés, rien qu'entre 1727 et 1735.

Telles sont quelques unes des caractéristiques qui font de cette petite monarchie, une expérience originale pleine de charme et d'attraits dont le souvenir est encore perpétué par des traditions orales, aujourd'hui, même s'il persiste encore dans cette île d'Anjouan, la manifestation d'une hospitalité et d'une bienveillance séculaires.


 



Chronologie des sultans d'Anjouan......

Chronologie des sultans d'Anjouan

La monarchie anjouanaise remonte au XVIe siècle, fondée par Hassan Chirazi Al Madoua.

La dynastie Al Madoua exerça le pouvoir royal pendant des siècles, parfois en alternance avec une dynastie parente, la dynastie Al Masela et plus rarement les Aboubacar Ben Salim.

La monarchie anjouanaise était une monarchie évoluée dans laquelle le sultan n'exerçait pas un pouvoir absolu, puisqu'il était assisté d'un gouvernement mais surtout d'un conseil de chefs, le madjliss , qui avait la main sur la succession.

C'était donc une monarchie de type parlementaire moderne, accordant notamment à la femme toute sa place dans la succession à la couronne.

Comme l'a si bien dit, l'historien Jean Martin «  En dernière analyse et à la différence des îles voisines, Anjouan formait sans doute depuis longtemps déjà, un état et non une chefferie africaine, un royaume avec un souverain, flanqué d'un gouvernement dont l'autorité s'étendait à l'ensemble de l'île, une armée et un trésor alimenté par des ressources régulières. » *

Chronologie

Hassani fonda le sultanat en se mariant avec une princesse locale Fani Djoumbe Adia.

Son fils, Mohamed Ben Hassan régna jusqu'en 1598.

Sa petite fille Djoumbe Halima I régna de1598 à1615.

Mawana Idarousse, le fils de Halima, à partir de 1615.

Manaou Idarousse , sa fille épouse Allaoui Al Massela, provoquant ainsi le 1er changement dynastique, en 1645.

Son fils Sultan Salim 1er dit Troundra Pevoni (1711-1741).

Sa petite fille Djoumbe Halima II épouse Said Ahmed qui régna de 1741 à 1792.

A la suite de troubles, Said Ahmed abdique en 1792, au profit de Abdallah 1er, Mwenye Fani, arrière petit-fils de la sultane Manaou.

Le sultanat qui était jusqu'alors établi à Domoni, se déplace à Mutsamudu, qui était alors la capitale économique et le siège du gouvernement .

Désormais la capitale économique et politique sont unifiées sous Abdallah 1er et Halima III (1792-1803).

Allaoui 1er, un descendant de la branche aînée de Hassani Chirazi Al Madoua lui succéda (1803-1821).

Son fils prit sa succession sous le nom de Abdallah II (1821-1836).

Trahi par son sens de l' hospitalité, il donna refuge aux deux usurpateurs malgaches Andriantsoly et Ramanetaka, qui causèrent sa perte et de dommages importants au sultanat.

Il fit naufrage lors d'une des expéditions punitives contre Ramanétaka qui avait usurpé le pouvoir à Mohéli et mourut en prison.

Son fils Allaoui II (1836-1840) organisa des expéditions punitives, en opposition à sa famille.

N'ayant pas réussi il a dû s'exiler au Mozambique.

Son oncle, frère de Abdallah II, Said Houssein prit la succession sous le nom de Salim II (1840-1855)

Son fils, Abdallah III lui succéda (1855-1891).

En conflit ouvert contre la France, il mourut brutalement le 2 février 1891.

La France installa le prince Said Omar, établi jusque là à Mayotte, sur le trône d'Anjouan mais celui-ci ne put se maintenir au pouvoir qu'un mois.

Il céda le pouvoir à son fils Said Mohamed Ben Said Omar (1891-1912).

Celui-ci avait perdu toute prérogative et le sultanat d'Anjouan n'existait plus que de nom.

Le pouvoir réel était passé désormais entre les mains du résident Français.

En résumé, le sobriquet de Jean Martin « Les sultans batailleurs » qui colle tant à l'histoire ancienne des Comores, se réfère peu au sultanat d'Anjouan qui s'est distingué par son caractère unifié et une succession savamment codifiée qui lui a souvent évité la violence des guerres dynastiques et claniques.

Données compilées par Kamaroudine ABDALLAH PAUNE Sources Jean Martin en collaboration avec Anli Jaffar

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